lundi 17 novembre 2008

La destinée Wizzgo, ou pourquoi le web ne sera jamais ton ami (même en le harcelant sur facebook)

Antonin est né dans les 50's et a grandi avec son temps. C'est avec ses premiers salaires qu'il s'est offert successivement une platine vinyl à courroie, un magnétophone à bandes en bobines. Il s'est payé quelques mois plus tard une DS, juste pour les dimanches. L'écrin idéal d'un autoradio Blaupunkt stereo, fièrement encastré dans ce que l'on pouvait se targuer d'appeler un tableau de bord. Les stations allemandes émettaient alors d'une pureté telle qu'un swarovski aurait semblé aussi cristallin qu'un morceau de charbon de bois. Il enchaînait les filles comme d'autres les cigarettes. Avec toujours la bouche pâteuse, indétronable happy end de l'idylle consumée.
Les 80's sont passées par là trimbalant dans leur sillage un lot de conserves bruyantes de nouvelles déclinaisons technologiques. Les années 1980, c'est aussi la libéralisation de l'audiovisuel, avec la multiplication des radios, des chaînes télévisées. C'est l'euphorie. C'est le temps où la trotteuse enchaîne tasse de café sur tasse de café. On commence à manquer de temps. Alors on enregistre. On opte pour un investissement dans un lecteur cassette audio JVC. On craque pour un magnétoscope. On reçoit des notices limite encyclopédiques où le moindre petit condensateur albinos est localisé et disséqué dans un schéma à plusieurs coupes. Si je vous dis que le mode d'emploi est exhaustif, vous répondez? Pléonasme. Ca va, vous suivez. On peut continuer.

Antonin a maintenant la cinquantaine. Des gamins qui volent de leurs propres ailes. Il s'est mis à l'informatique le jour où il a pris conscience que les publicités télévisées lui suggéraient d'aller voie ailleurs. De fricoter avec un autre écran. Les temps changent, pas les pulsions. Alors on cherche à enregistrer via les outils et services mis à disposition du grand public sur la toile. On trouve le service Wizzgo. On l'adopte. On apprend ses condamnations successives par le Tribunal de Grande Instance de Paris au motif que la copie doit être faite par le copiste pour son propre usage. Dès lors, l’exception de copie privée ne saurait être applicable à une société qui offre un service de copie à des tiers, le copiste et l’usager n’étant pas la même personne. Belle subtilité.

Le hic dans tout ça, c'est qu'aujourd'hui rares sont les personnes qui maîtrisent l'informatique au point de concevoir par elles-mêmes, un outil qui leur permettrait de faire valoir leur droit à la copie privée. Formulé autrement ça donnerait :
Justice: - Votre droit à la copie privée reste indemne Antonin, à condition que vous ne fassiez pas appel à un prestataire intermédiaire.
Antonin: - Mais... je suis très loin de maîtriser les compétences propres à l'accomplissement de mon objectif initial, à savoir enregistre simplement un programme diffusé numériquement...
Justice (prosaïquement): - Mais mon cher Antonin, quand on veut, on peut...

J'aimerais pouvoir ranimer dans mon esprit le passage précis d'un contributeur du site Ratiatum (ex-Numerama) qui, sous un air faussement prophétique, expliquait que la réelle fracture numérique ne se situait plus (depuis belle lurette) entre ceux disposant d'un accès au web et ceux qui en étaient dépourvus, mais bel et bien entre la nouvelle élite émergente de ceux qui maîtrisent les ressources du langage de programmation et l'immense majorité populeuse qui n'est apte qu'à se servir des outils qu'on leur met à disposition (aka la premières victime de telles décisions de justice).

Deux articles pour plus de détails : lui et l'autre

2 commentaires:

sopyjohnny a dit…

Un texte pleins d'indications et de symboles forts: comment savoir où je me situe entre le geek et la victime???
En tout cas ton texte est très stimulant et impose d'intenses réflexions.
Tu m'as bluffé!

Oli a dit…

Ca me fait plaisir de te retrouver. Et en plus ici!

Je ne savais pas que tu avais un penchant geek, sacrément bien caché = )

J'espère avoir de tes nouvelles bientôt, à l'occasion, sur msn